Il est courant d’entendre que l’islam se divise en dizaines de groupes ou de sectes, et certains se demandent avec étonnement : pourquoi y a-t-il tant de sectes dans l’islam ? Ce phénomène, bien réel, n’est pourtant ni unique à l’islam, ni totalement accidentel. Il est le résultat d’un enchevêtrement de facteurs religieux, politiques, sociaux et culturels.
Des erreurs d’interprétation du Coran, des luttes pour le pouvoir, des influences étrangères et un éloignement progressif de la source authentique de l’islam ont, au fil des siècles, fragmenté la communauté musulmane en de nombreuses écoles et tendances.
Dans cet article, nous allons comprendre comment ces divisions sont apparues, quelles sont leurs racines profondes, et pourquoi certaines lectures ont conduit à des divergences irréconciliables.
Nous verrons également comment, dès les débuts de l’islam, des choix politiques ont influencé les croyances, et pourquoi revenir à l’enseignement du Prophète (s) transmis par les Ahlul Bayt (a) est considéré par certains comme une voie stable et claire.
Sommaire
Le sens du mot « secte » dans l’histoire islamique
Dans l’histoire islamique comme dans la sociologie des religions, le mot « secte » ne se limite pas à une connotation péjorative moderne. Il désigne plutôt un groupe distinct qui s’est séparé de l’organisation religieuse majoritaire en raison de divergences doctrinales, rituelles ou structurelles.
D’après les analyses sociologiques reprises dans les ouvrages étudiés, une secte peut être une entité minoritaire, souvent née d’une contestation interne, qui prétend revenir à une pureté originelle ou introduire une réforme.
Dans le monde islamique, le terme a servi à classifier des courants comme les kharijites, les mu’tazilites, ou encore les ismaéliens, non pas seulement pour leur éloignement doctrinal, mais aussi en raison de leur opposition explicite à l’autorité religieuse ou politique dominante.
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Raison 1 : Une unité brisée dès les débuts de l’islam
L’idée d’une communauté musulmane unifiée après le décès du Prophète Muhammad (s) est une illusion historique. En réalité, les divisions sont apparues très tôt, souvent dès la vie même du Prophète (s).
Certains compagnons ont exprimé des résistances ouvertes à ses décisions, notamment lors de la signature du traité de Hudaybiyya ou encore lorsqu’il voulut désigner ses successeurs dans ses derniers sermons.
Des incidents comme l’interruption volontaire de son discours lors du pèlerinage d’adieu ou le refus d’obéissance au jeune commandant Usama montrent que l’unanimité autour de son autorité n’existait pas.
Ces tensions ont été aggravées par l’épisode tragique du « jeudi noir », où on l’empêcha de rédiger une déclaration écrite pour guider la communauté après sa mort.
Après sa disparition, les dissensions devinrent plus ouvertes et structurées. Le coup d’État de la Saqifah, qui permit à Abou Bakr de prendre le pouvoir sans consulter les proches du Prophète (s), notamment l’Imam Ali (a), inaugura une nouvelle ère de divisions politiques et idéologiques.
Ce choix, contesté par les partisans de la transmission du pouvoir au sein de la famille prophétique, a marqué la rupture entre deux visions : celle d’un islam centré sur l’autorité spirituelle et divine des Ahlul Bayt (a), et celle d’un islam institutionnalisé autour d’une majorité tribale.
Ainsi est née la fracture fondamentale qui allait engendrer, au fil des siècles, la prolifération des sectes dans le monde musulman.
Vous pouvez visionner la vidéo ci-dessous pour apprendre encore plus sur l’évènement de Saqifa :
Raison 2 : Facteurs doctrinaux et interprétatifs
Une des causes majeures de la multiplication des sectes dans l’islam réside dans les divergences d’interprétation des sources religieuses, notamment le Coran et les hadiths.
Certains courants ont privilégié une lecture littérale, d’autres une approche allégorique, et d’autres encore ont mis de côté la raison au profit d’une stricte soumission au texte.
Ces différences méthodologiques ont donné naissance à des doctrines contradictoires, surtout lorsque la guidance des Ahlul Bayt (a) a été écartée au profit de raisonnements personnels ou de traditions tribales.
Exemples de divergences doctrinales :
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Les kharijites, qui refusaient tout compromis et ont considéré tout pécheur comme mécréant.
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Les mu’tazilites, rationalistes extrêmes qui ont nié certains attributs divins pour préserver la transcendance de Dieu.
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Les ash’arites, qui ont défendu la prédestination absolue au détriment du libre arbitre.
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Les batinites, qui cherchaient des sens cachés dans les textes, parfois sans fondement transmis.
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Les wahhabites, qui ont rejeté toute forme de symbolisme religieux au nom d’un retour supposé à la pureté du tawhid.
Raison 3 : Rôle des conflits politiques et tribaux
Les conflits pour le pouvoir après la mort du Prophète (s) ont joué un rôle fondamental dans la naissance des divisions. Ce n’est pas un hasard si la première grande scission est née au moment de la Saqifah, où les Ansars et les Qurayshites ont débattu âprement du pouvoir.
Ce fut une compétition entre tribus, motivée non par des considérations religieuses mais par la préservation d’intérêts politiques. Ce contexte tribal a favorisé la mise en place de dirigeants sans consultation des figures désignées par le Prophète (s), comme l’Imam Ali (a).
Par la suite, les conflits politiques ont continué à structurer les clivages religieux. La guerre de Siffin entre Ali (a) et Mu’awiya, puis l’apparition des kharijites, sont des exemples de mouvements politico-religieux nés dans un contexte de crise du pouvoir.
D’autres exemples incluent les rivalités entre les Omeyyades et les Abbassides, où la religion était utilisée pour légitimer des ambitions de domination. Ces luttes ont fragmenté davantage l’oumma, chaque pouvoir cherchant à imposer sa version officielle de l’islam, parfois au prix du sang.
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Raison 4 : Influence des courants intellectuels étrangers
L’expansion rapide du monde musulman a mis les musulmans en contact avec des civilisations riches en traditions philosophiques et religieuses : le monde grec, la Perse, l’Inde, le judaïsme et le christianisme.
Cette interaction culturelle, bien qu’enrichissante sur le plan intellectuel, a aussi introduit dans l’islam naissant des concepts étrangers à la révélation coranique.
Pour combler l’absence de lien vivant avec les Ahlul Bayt (a), certains ont trouvé dans les philosophies étrangères des éléments de réponse à leurs questions métaphysiques, parfois au prix d’une altération du message originel.
Exemples :
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Les philosophes musulmans ont adopté la logique aristotélicienne pour débattre de Dieu, de la création et du destin, ce qui a généré des écoles philosophiques parfois éloignées du Coran.
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Le judaïsme a influencé certaines croyances anthropomorphiques à travers les récits rapportés par des convertis comme Kaʿb al-Aḥbār, qui décrivait Dieu avec un corps.
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Des courants comme les sabéens, les gnostiques, ou les adeptes du néoplatonisme ont aussi influencé les discours mystiques ou ésotériques de certaines sectes, en particulier chez les batinites.
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La diffusion massive de récits bibliques (isrā’īliyyāt) par des convertis non filtrés par l’Ahlul Bayt a participé à un syncrétisme dangereux pour la pureté du message prophétique.
Raison 5 : La manipulation du pouvoir et des hadiths
L’une des dérives les plus graves qui ont contribué à la naissance de multiples sectes dans l’islam fut la manipulation volontaire des hadiths par les pouvoirs politiques en place.
Après la mort du Prophète (s), les autorités califales ont rapidement compris le rôle central des paroles prophétiques dans la légitimation du pouvoir.
Des califes ont interdit la diffusion de certains hadiths, notamment ceux qui soutenaient les mérites de l’Imam Ali (a) ou de sa descendance, tout en encourageant la fabrication de traditions favorables à leur propre autorité.
Cette instrumentalisation du hadith a abouti à une confusion doctrinale profonde, où chaque groupe pouvait invoquer des traditions soi-disant prophétiques pour justifier ses positions.
Par exemple, sous le règne des Omeyyades, Muʿāwiya a non seulement interdit les récits en faveur de l’Imam Ali (a), mais il a aussi financé des narrateurs pour fabriquer des hadiths en faveur de ses propres compagnons, notamment Abū Bakr, ʿUmar ou ʿUthmān.
De même, le calife ʿUmar ibn al-Khaṭṭāb a interdit l’écriture et la diffusion des hadiths du Prophète (s), ce qui a ouvert la voie à une sélection idéologique des traditions.
Ce vide a permis à des opportunistes de propager des récits mensongers au profit de courants théologiques ou politiques, engendrant des divergences irréconciliables entre musulmans, notamment sur des sujets essentiels comme le califat, la justice divine, ou la nature de Dieu.
Dans la vidéo ci-dessous, j’ai parlé de l’époque où les califes ont interdit l’écriture des hadiths du Prophète Muhammad (s) :
Raison 6 : L’oubli de l’Imamat et du rôle des Ahlul Bayt (a)
Parmi les causes majeures de la fragmentation de l’islam, l’abandon progressif de la notion d’Imamat divin et du rôle central des Ahlul Bayt (a) est fondamental.
Alors que le Prophète Muhammad (s) avait désigné à plusieurs reprises l’Imam Ali (a) comme son successeur — notamment à Ghadîr Khumm — et avait recommandé à sa communauté de s’attacher au Coran et à sa Famille, cette directive fut rapidement écartée par des décisions politiques prises à Saqîfa.
Cette mise à l’écart a laissé un vide de leadership spirituel, que certains ont tenté de combler par des lectures personnelles ou des structures tribales, donnant naissance à des dérives multiples, voire opposées.
En l’absence d’une source authentique et continue de la connaissance divine, représentée par les Imams infaillibles de la descendance prophétique, les divergences d’interprétation se sont multipliées.
Les Ahlul Bayt (a) étaient non seulement les gardiens du message, mais aussi les repères vivants pour comprendre le Coran et la Sunna. Leur marginalisation a ouvert la porte aux lectures contradictoires, aux débats stériles, aux dérives mystiques ou extrémistes, et à l’émergence de figures d’autorité non légitimes.
C’est ainsi qu’au lieu de suivre une voie claire et transmise, de nombreux musulmans ont été dispersés dans des écoles, sectes et mouvements souvent en désaccord profond sur les fondements mêmes de la foi.
Pour en savoir plus sur l’événement de Ghadir Khom, je vous propose de voir la vidéo ci-dessous :
Pourquoi autant de sectes aujourd’hui ?
Si le passé a vu naître les grandes divisions, ce sont les conditions sociales, médiatiques et géopolitiques contemporaines qui entretiennent et multiplient aujourd’hui les sectes.
Dans un monde globalisé, où chacun peut prétendre à l’autorité religieuse via Internet, les réseaux sociaux et des canaux de communication rapides, des figures sans légitimité se présentent comme guides ou sauveurs.
Le manque de connaissance des sources authentiques, l’absence d’éducation religieuse profonde, la confusion entre religion et identité politique, et la quête émotionnelle de sens dans un monde en crise, sont autant de facteurs qui nourrissent un terrain fertile pour de nouveaux groupes, souvent déconnectés des enseignements clairs transmis par le Prophète (s) et sa Famille (a).
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Quels livres lire pour connaître les branches islamiques ?
Pour comprendre la diversité des courants au sein de l’islam, il ne suffit pas de s’arrêter aux grandes appellations comme sunnisme ou chiisme. Il est essentiel d’explorer l’histoire, les doctrines, les contextes sociaux et politiques qui ont façonné chaque branche.
La lecture de livres rigoureux et bien documentés permet de dépasser les stéréotypes et de mieux saisir les dynamiques internes de ces écoles et mouvements. Voici une sélection de livres utiles pour approfondir ces questions :
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Traité des sectes et écoles doctrinales de l’islam
Auteur : Reza Berenjkar – 195 pages
Une synthèse claire des principales écoles, avec une approche comparée des doctrines. -
L’agenda sociopolitique du Wahhabisme en Afrique centrale
Auteur : Ali Maka – 271 pages
Une analyse précise de l’impact contemporain d’un courant religieux sur une région africaine. -
Histoire de la civilisation Islamique
Auteur : Abolfazl Khoshmanesh – 208 pages
Pour replacer les divisions doctrinales dans le contexte global du développement de la civilisation islamique. -
Histoire de la culture et la civilisation islamique
Auteur : Muhammad Reza Kashéfi – 248 pages
Ce livre éclaire les différentes influences intellectuelles et culturelles qui ont façonné l’islam dans le temps. -
Les repères des deux écoles
Auteur : Allama Askarî – 490 pages
Un ouvrage incontournable pour comparer les points de divergence entre les écoles chiite et sunnite à travers les sources.
Lisez plus : C’est quoi la différence entre sunnite et chiite ?
Où apprendre plus sur l’école chiite ?
Si tu veux découvrir les fondements authentiques de l’islam transmis par les Ahlul Bayt (a), l’école chiite propose une approche cohérente, fondée sur la raison, la transmission fiable et la spiritualité.
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Conclusion
L’histoire des divisions dans l’islam est complexe, mais elle nous rappelle l’importance de la guidance authentique et de la connaissance éclairée.
Pour ne pas tomber dans les pièges du sectarisme ou de l’ignorance, il est essentiel de se reconnecter à la source et d’étudier avec rigueur.
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Seyed Ali Mousavi ✦